Friday, April 30, 2010


NAKED LUNCH

Icône de l’underground new yorkais 70, Lydia Lunch nous plonge dans l’Amérique profonde à travers une poignée de textes autobios, et son contraire, l’art, à travers plusieurs interviews d’écrivains. Ahurissant.


De Lydia Lunch, on connaît la silhouette de tigresse qui se déploie, féline et dénudée dans les films de Richard Kern, la voix tantôt grave, tantôt hurlée entendue sur ses disques solo et multiples collaborations depuis le début des années 80 (de Nick Cave en passant par Sonic Youth), la posture hardcore. Peu en revanche, l’écrivain. En trente ans, Lunch n’a pourtant pas cessé d’écrire : plus de 200 chansons, des spoken words, mais curieusement assez peu de littérature, qu’elle tient pour son influence principale. « La musique a toujours été là pour habiller les mots », explique-t-elle. « A13 ans, j’ai lu Last Exit to Brooklyn de Selby. Et aussi Artaud, Miller, Genet, qui restent mes auteurs préférés. Ce sont ces livres qui m’ont donné le courage d’être moi et de foutre le camp de chez mes parents à 14 ans».
Dans sa bibliographie, minimale, quelques nouvelles (Incriminating evidence en 1992), un comic flippant et psychotique(Toxic Gummo), un recueil de poésie (Adulterers Anonymous en1982)et surtout Paradoxia, journal d’une prédatrice paru en 1999. Un livre terrible, d’une crudité et d’une noirceur extrême, dans lequel elle raconte vingt ans de sa vie : la fuite du foyer paternel incestueux pour les rues crades du new York punk et défoncé de la fin des années 70, sa lutte (qui plus que par l’analyse passe par le corps, l’expérience) pour dominer ses obsessions, ses appétits dévorants jamais assouvis. Pétri du même matériau, Déséquilibres synthétiques, recueil de courts récits qu’elle a accumulé ces dix dernières années dans son disque dur, assorti de quatre interviews réalisées pour des magazines (Hubert Selby, Nick Tosches, Jerry Stahl, Ron Athey) parait en comparaison un poil fade de prime abord. On y retrouve certes l’univers de Lunch, mais le style semble s’être un peu empâté- trop d’adjectifs, et une propension à l’analyse et à la glose (sur Dieu, la guerre en Irak) qui freine un peu la lecture -quand Paradoxia transmettait la jouissance de l’expérience pure.
Passée cette réserve, l’ouvrage, qui renferme de vraies réussites et fulgurances, vaut amplement le détour. Pour la première fois, Lunch se replonge dans son enfance à Rochester, ses huit ans, les émeutes de 1967, sa mère qui l’abandonne sur un coup de tête et la vire manu militari de sa voiture, son père monstrueux, sale, inquiétant qui se bourre la gueule tous les week-ends pendant quarante huit heures d’affilée et joue la virginité de sa fille au poker.. Mais même si certaines scènes sont ahurissantes, c’est avec « Johnny » (récit d’une relation autodestructice à la lisière de la santé mentale) et surtout « la Bête »qu’elle atteint son meilleur niveau. En une cinquantaine de pages âpres, incandescentes, rythmées par des passages de La Liquidation de l’opium d’Artaud, La Bête, qui raconte l’histoire du batteur dément de Teenage Jesus ( le premier groupe no wave de Lunch) est un petit chef d’œuvre de subversion, de cinégénie, de déchiquetage à la mitraillette du rêve américain, reformaté ici en dope-detox-hosto-prison. Embarqué dans une bagnole lancée à fond, on glisse dans le West Side new-yorkais à la rencontre des gangs de blacks, de travelos putes portoricains qui se vendent pour 5 dollars. Et Lunch excelle dans ce portrait d’outsiders, de loosers incapables de mettre fin à leur jour qui se détruisent au compte-goutte, jour après jour, mus par des forces qu’ils ne maîtrisent pas. Car s’ils sont vrillés par la structure familiale, les personnages de Lunch sont avant tout des produits de l’Amérique, de ses perversions, de sa structure viciée, de sa banlieue sans fin.

Géraldine Sarratia

Lydia Lunch : Déséquilibres synthétiques, traduit de l’anglais par Virginie Despentes, ( Etats-Unis), Au Diable Vauvert, 207 p, prix ?
Big Sexy Noise ( Sartorial records)


3 questions à Lydia Lunch

Vous vivez depuis de nombreuses années à Barcelone. Retournez vous aux Usa ?
Jamais. L’idée d’y faire un saut me rend malade. Je préfère vivre dans un ex –pays fasciste que dans un pays qui de mon point de vue est en train de le devenir.

Vous ne lisez plus de romans. Pourquoi ?
Je n’ai plus de temps pour les romans. Je lis des essais, de la philosophie, des bouquins scientifiques, des bios, des témoignages. : Je veux de l’expérience, de la réalité. Je ne sais pas comment on écrit un roman. J’ai une écriture automatique, je ne fais pas d’ébauches, pas de brouillons.

Vous sortez un nouvel album rock avec le groupe Big Sexy Noise. Quels sont vos autres projets ?
Je travaille sur un scénario basé sur mon expérience. Il débuterait à mes 16 ans et traverserait ma vie.. J’ai aussi pensé à nouveau livre « Road Whore », qui raconterait la vie en tournée, les rencontres, la nuit, d’une perspective féminine.