Tuesday, May 20, 2008

Hercules, dieu Disco

Piloté par le DJ Andrew Butler, chanté par Antony et produit par DFA, le projet collectif Hercules and Love Affair parvient à allier esprit disco des origines et production electro contemporaine. Ils seront en live le 8 juin à la Cigale. A ne pas manquer

Ces jours-ci, impossible d’y couper. Au moindre déplacement urbain, la silhouette de Franck Dusbocq, le regard bleu torve, lunettes à la main, un caddie dans l’autre, se charge de rappeler l’évidence : la disco revient. Pour le pire, comme dans ce film de Fabien Oteniente où elle est caricaturéé, vidée de son sens, réduite à une farce : boules à facettes, jeans moule-burnes, casques de chantiers, beauferie sous-jacente. Mais aussi pour le meilleur. Ces deux dernières années, les avant-gardes électroniques se sont en effet pris de passion pour ce genre né au début des années 70. Les ressorties, redécouvertes et titres rares ont fleuri dans les mixs, compilations des labels electro (Dirty Space Disco sortie par le label Tigersushi l’an passée, ou la Colette 8 mixée par le français Joakim) et de nombreux artistes (Lindström, Prinzhorn Thomas, plus récemment les très italo-disco Glass Candy ou encore Chromatics …) ont injecté la fameuse rythmique synthétique et nonchalante dans leurs productions. Avec des artistes tels que les Scissors Sisters, Mika ou plus récemment des pitreries de Calvin Harris (et de son irrésistible acceptable In The Eighties), la fièvre a également gagné le mainstream. Dans ce vaste revival, Hercules and Love Affair, projet collectif piloté par Andrew Butler, un DJ rouquin fou de disco qui évolue dans les milieux queer new-yorkais depuis une quinzaine d’années, s’affirme pourtant comme le plus passionnant. Peut être et avant tout parce qu’il est celui qui, en faisant preuve d’une production très contemporaine (il sort sur DFA, le label de James Murphy), renoue le plus profondément avec l’esprit des origines, quand le genre était encore une musique minoritaire qui propulsait sur le devant de la scène Noirs, femmes et homosexuels, en bonne héritière des mouvements féministes de la fin des années 60 et des soulèvements de Stonewall. Une musique de plaisir partagée, qui célébrait dans ses chansons une vie nocturne et subversive, mais aussi une source d’affirmation de l’identité, avec laquelle on parle de soi avec fierté et honnêteté. Blind, le renversant premier single extrait du disque, magnifiquement interprété par Antony Hegarty et propulsé par une basse digne de Larry Levan, en est la parfaite illustration. Andrew Butler : “Je trouvais intéressant qu’il chante sur de la musique synthétique, et non pas folk comme avec son groupe Antony and the Johnsons. J’étais très impressionné par sa voix, son exigence dans son travail, son art. Nous avons tellement de choses en communs : nos goûts, expériences . Je lui ai immédiatement proposé de venir au studio et nous avons registré Blind.” Mise en boîte, la chanson reste pourtant dans les cartons, où elle rejoint les nombreuses compositions qu’Andrew Butler accumule depuis des années. “Jusqu’alors, avoir enregistré une chanson suffisait à me satisfaire, je ne ressentais pas le besoin de la rendre publique. Antony m’a beaucoup encouragé, et aidé à changé ma manière de voir. Je crois qu’en réalité, je ne m’assumais pas vraiment en tant que songwriter avant d’écrire Blind.”
Butler est pourtant loin d’être un débutant. Passionné de musique, il joue du piano et compose depuis l’enfance. Une formation classique déviée à jamais par Don’t Go, l’explosif single de Yazoo, qu’il découvre en 1986 à 10 ans. “Le choc ! J’avais l’impression qu’il avait été fait au paradis, que ses sons étaient extra-terrestres. La voix d’Alison Moyet était géniale, troublante, je ne savais pas si c’était un homme ou une femme. J’étais obsédée par cette chanson.” A 15 ans, il plonge dans la scène house de Chicago, se métamorphose en clubbeur assidu et devient DJ dans la foulée. “Denver était une ville ennuyeuse, conservatrice, avec des lois anti-gays, où se développait en même temps une scène club très intense. Ça tenait beaucoup à sa situation géographique : elle était équidistante de Chicago-Detroit d’un côté, San Fransico-Los Angeles de l’autre. Donc les DJ de ces deux zones venaient mixer chez nous.” Installé à New-York depuis une bonne dizaines d’années, il vit de son son activité de DJ, organise des soirées, écrit également quelques articles pour la presse musicale et est rapidement devenu un spécialiste disco. Hercules and Love Affair est son premier véritable projet. Prenant comme figure tutélaire Hercule, le dieu grec antique qu’il a choisi pour sa force légendaire et aussi pour son sentimentalisme et ses amours homosexuels (“il est à la fois l’homme le plus fort du monde et aussi le plus vulnérable”, explique-t-il ), Butler a composé un chef d’œuvre qui s’écoute à la fois comme un hommage vibrant aux Arthur Russel, Chic, Donna Summer, Sylvester Ou Innercity (You Belong cite explicitement leur Big Fun) que comme une passionnante et haletante odyssée identitaire, interprétée à trois voix. Premier rôle, alter ego, toujours juste dans son émotion, Antony habite les plus beaux titres du disque, de l’inaugural Free Will au superbe Blind en passant par le sautillant Raise Me Up. Réservées aux moments plus feutrés, intimistes, les voix de Nomi (une performeuse et chanteuse hip-hop, aperçue sur quelques productions de RZA) et Kim Ann (une figure de la scène queer underground de San Francisco) complètent à merveille le casting. On en sort un peu grooggy et chamboulé émotionnellement, oscillant tout au long du disque entre des sentiments habituellement opposés (tristesse et gaieté, insouciance et introspection), habité surtout d’un grand sentiment de liberté. Quelques symptômes de l’expérience disco, si l’on en croit Andrew Butler. “C’est une musique des extrêmes, animée d’un incroyable sentiment de liberté. Tu te crées un endroit, sur le dance-floor où tu dis qui tu es, où tu peux être qui tu désires. Je trouve que c’est une très belle idée.”

Géraldine Sarratia
Album Hercules and Love Affair ( DFA/Emi)
/// www.herculesandloveaffair.com

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