Tuesday, May 13, 2008


J’ai la guitare qui me dérange

Depuis quelques mois elles sont partout. Elles squattent les magazines de mode, de Elle à Madame Figaro, crânent en couv’ des Inrocks, se confient dans les pages portraits de Libé. Comme protégées et portées par une sorte d’immunité, de ferveur collective, elles font l’unanimité. Intouchables, encensées, incontournables. Elles, ce sont les filles à guitares acoustiques. Elles s’appellent Carla Bruni, Elodie Fregé, Anaïs, Linda Lemay, Pauline Croze, Jeanne Cherhal, ou même Babette, récemment échappée des sautillants Dyonisos. Ces deux dernières années, elles incarnent le renouveau de la chanson française, qui ne jure plus que par elles. Un sacre pour le moins étonnant en ce début de vingt-et-unième siècle : qui aurait parié, il y encore vingt ans, que le futur se passerait d’électricité, et que la femme des années 2000 serait représentée par les descendantes de Sœur Sourire, assises sur leurs tabourets, en train de fredonner de jolies mélodies ?
Car la fille à guitare acoustique ne « chante » pas vraiment. Elle chuchote, susurre, fredonne, joue avec son timbre de voix, parle parfois. Charlotte Gainsbourg, qui ne joue pas de guitare, fait évidemment partie de cette catégorie. Elle fait preuve d’une certaine retenue, question de style. Souvent grande, elle porte les cheveux longs et adore les basics, tout particulièrement le couplé, jean pull en cachemire. Un rien ne l’habille. Elle est très souvent, on le disait ; assise sur un tabouret. Une position (pas aventureuse) sûrement beaucoup plus confortable pour jouer de la guitare, mais, on en conviendra; pas très rock star. Mais justement, le rock, elle s’en fout.
Pied-de-nez aux avancées technologiques, la fille à guitare acoustique sonne en effet comme un défi à l’histoire. Elle semble nous dire que le rock (et la contestation sociale qui va avec) n’a jamais existé, que Dylan n’a jamais revisité sa Highway 61 et que le monde ronronne, Like a rolling Stone. Qu’il était beau le temps vantés par les chanteurs et chanteuses de folk au début du siècle, les verts pâturages, les veillées au coin du feu. Pour la contestation, faudra repasser. Quand elle s’y essaie tout de même, elle la pratique avec mollesse, humour ou autodérision. C’est Anais qui s’en prend à un des piliers de notre société : le couple., qui lui « donne la gerbe », lui « colle le cul par terre » dans sa chanson la plus connue « Mon Cœur mon amour »….Pour mieux avouer,quelques couplets plus loin, le nerf de sa guerre : « Je hais les couples qui me rappellent que je suis seule. »
Jeanne Cherhal, elle, dans Douze fois par an parle de ses règles, un sujet à première vue audacieux et tabou. Le traitement laisse songeur. Cherhal chante « Douze fois par an, elle se tord de douleur (…) Son ventre est un feu/ un volcan fiévreux / Qui crie à sa place ». On ne peut qu’applaudir la vision biologisante de la femme, commandée, c’est bien connu, par ses hormones.
C’est finalement le plus gros reproche que l’on adressera à la femme à guitare acoustique : chanter comme si mai 68 avait été une illusion télévisuelle, comme si les Slits, Patti Smith ou the Raincoats n’avaient jamais existé. Jouer de la musique comme on fait du tricot, pour passer le temps, et refuser de prendre à bras-le-corps des formes esthétiques nouvelles et les investir de significations politiques, sociales.
Pas besoin d’être Roland Barthes pour comprendre que le rock et la guitare électrique sont bien plus que la musique de la jeunesse en colère. Ils symbolisent la puissance, la pulsation nécessaire au retournement d’un ordre établi.
La fille acoustique c’est celle qui refuse comme l’écrivait Béatriz Preciado d’ « en avoir une grosse », de s’hypersexualiser au contact des guitares électriques et autres samplers, et peut être de prendre le risque de s’approprier des codes et qualités jusqu’alors masculines : agressivité, ambition, pouvoir . C’est la housewife fière de l’être, qui gratouille dans son coin, contente de sa condition. Avec sa guitare folk comme étendard, elle est le dernier rempart contre l’ennemie R’n’b au look « chienne de l’enfer », les corps mini String, maxi seins.

G.S., Publié dans GQ, avril 2008

1 comment:

Frei said...

T'es revenue ! Enfin !!!!!
Très bon texte - très bon titre: tu es parfaite, toi femme électrique !